Des « gilets jaunes » à l’ENA

Des « gilets jaunes » à l’ENA, Le canard enchainé, mercredi 28 novembre 2018

LE 12 DÉCEMBRE, Emmanuel Macron doit recevoir 1 800 hauts fonctionnaires et leur annoncer une réforme des grands corps d’Etat. Au risque de déclencher un vent de fronde chez les énarques et autres très honorables « serviteurs de l’Etat ».

En janvier, lors de l’audience solennelle de la Cour des comptes, Macron avait souhaité « très profondément que les fonctionnaires des grands corps se frottent au réel, choisissent des postes difficiles, relèvent les défis du terrain ». Et l’énarque promo Senghor de préciser sa pensée : « La sortie de l’ENA comme la carrière durant les premières années d’exercice pourront être modifiées pour tenir compte des priorités gouvernementales. » Ouh là là…

Jusqu’alors, les meilleurs élèves de l’ENA pouvaient choisir leur affectation. L’usage voulait que les premiers arrivés trustent les postes, dans l’ordre, à l’Inspection générale des finances, au Conseil d’Etat et à la Cour des comptes. Tandis que le ministère de l’Education nationale, qui représente le plus gros budget de l’Etat, est réservé aux moins bien classés. Au piquet !

Or, dans le « nouveau monde », il devient impossible de conserver les « mêmes rites de recrutement et de passage ». Une réunion interministérielle a recensé, le 25 avril, les « missions prioritaires » de l’Etat. Et, ministère par ministère, les postes dévolus aux nouveaux énarques. C’est du lourd ! Sur 46 « missions », 39 sont basées à Paris ou dans les Hauts-de-Seine. C’est ça, le « réel » ?

Quant aux « postes difficiles », ils relèvent vraiment de l’exploit. Exemples « chargé du pilotage de la mise en œuvre du projet de loi Asile-Immigration » à Beauvau ; « conseiller spécial pour la négociation avec le Royaume-Uni » en vue du Brexit ; « chargé de mission pour la lutte contre l’urbanisme illégal à Mayotte » ; ou encore « chargé de mission projet de territoire Fessenheim ». Mais le plus ardu est sans doute celui-ci « chef de projet simplification de la vie des agriculteurs ». Une friche !

Autant de joyeuses perspectives qui ont déclenché un vent de fronde chez les énarques. Notamment ceux de la promo Churchill. Deux années et demie après leur sortie de l’ENA, ils viennent d’être affectés à leur premier poste. Déjà, en juin, à l’occasion d’une journée de formation, ils avaient prévenu Gérald Darmanin qu’ils n’accepteraient pas tout et n’importe quoi. Le ministre leur avait rétorqué, en septembre, lors d’une visite à l’ENA, à Strasbourg : « Il n’y a pas de noblesse particulière, il n’y a que des exigences à servir la République. »

Un message reçu cinq sur cinq. La major de la promo Churchill a ainsi choisi de rejoindre l’Inspection des finances, et les suivants de la « botte » (les élèves les mieux classés) d’occuper les postes prestigieux : Conseil d’Etat, Cour des comptes, Inspections générales, etc. Comme l’explique l’un d’eux, « nous sommes libres de choisir. Nous ne sommes pas là pour obéir au gouvernement ». Un Insoumis, sans doute !

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