Tribune. «Ni E3C ni LBD.» Ce slogan écrit sur une feuille chiffonnée figure, entre tables et chaises renversées, sur un cliché pris dans une salle de classe du lycée Ravel à Paris le 27 janvier. Dans cet établissement, parents, élèves et enseignants ont réussi à faire annuler les épreuves de ce nouveau baccalauréat (appelées E3C : épreuves communes de contrôle continu). Ce slogan qui place sur le même plan ce bac et une arme de police est révélateur de la crise que l’école traverse aujourd’hui.
Depuis trois semaines, monsieur le ministre, la France assiste à l’échec de votre nouveau bac. Les enseignants en manifestent le rejet dans la rue avec créativité (jeté de cartables, déguisement, chorégraphies, mur de manuels périmés). Les lycéens et leurs parents bloquent leurs établissements, donnant lieu à des scènes chaotiques.
Déjà, au moins le tiers des lycées de France ont connu des perturbations – dont 150 ont dû annuler les épreuves du bac prévues. Nous sommes très loin des 0,1% de radicaux contestant cette réforme. Les épreuves, quand elles se passent, se déroulent souvent dans des conditions stupéfiantes : chapitres non étudiés, erreurs dans les sujets, échanges entre candidats, élèves placés deux par table, accès au téléphone portable, etc. En outre, les sujets sont mis en ligne massivement sur les réseaux sociaux par les candidats aussitôt l’épreuve composée. Des sites en proposent désormais des corrigés.
Caractère inégalitaire
Cette situation était prévisible. Ces épreuves avaient été rejetées par l’ensemble de la communauté éducative (syndicats enseignants et lycéens, fédération de parents d’élèves). En effet, elle avait bien perçu le caractère inégalitaire d’un bac local, surtout dans le cadre concurrentiel pour l’accès à l’enseignement supérieur. Elle avait aussi bien mesuré le niveau d’impréparation de cette réforme.
Ce qu’elle n’avait peut-être pas perçu est votre obstination totale à maintenir «à tout prix» la passation de ces épreuves. «A tout prix» en effet, même celui de la peur, de l’intimidation et de la force policière déployées contre les jeunes et les enseignants. Rarement un gouvernement n’aura réprimé aussi sévèrement une contestation du secteur éducatif. Les proviseurs menacent massivement les élèves mobilisés d’un zéro et font appel aux forces de l’ordre qui utilisent gaz lacrymogènes et matraques. Peu importe les conditions de passation des épreuves et les menaces qu’il faut proférer, ces épreuves doivent avoir lieu.
Négation de la réalité
Ce «bac local» est donc devenu le symbole de l’action du gouvernement : attaque du service public, négation de la réalité et répression. Il témoigne aussi de votre mépris pour les enseignants. Gel des salaires, réformes de retraites dont nous sommes les grands perdants, promesses illusoires de revalorisation : avec votre politique, notre métier perd de son sens. Elle explique sans doute la chute de 10% de candidats aux concours de recrutements des enseignants du secondaire entre 2019 et 2020.
Nous vivons dans un monde de symboles. Le LBD, les E3C, les 0,1% et les 0/20 en font partie. En transformant une note en intimidation, vous détruisez un autre symbole, celui du baccalauréat national pour lequel nous nous battons. En recourant au passage en force, vous attaquez l’école tout entière. Bien sûr, une fois toutes ses images de chaos oubliées, vous pourrez affirmer que tout s’est bien passé.
Vous annonciez «une école de la confiance». Vous avez perdu la nôtre…