Marion Honoré, Les cours en visio me donnent envie de mourir, Le monde à l’envers, 2022, (79 pages, 5 euros).
Critique de livre : La décroissance, N°194 – Novembre 2022
Enseignante de philosophie dans un lycée » bourgeois » de centre-ville, Marion Honoré raconte sa descente aux enfers lors de la mise en « distanciel » de l’enseignement, Covid oblige. Pas de grande théorie ici, simplement le court témoignage, parfois drôle, de ce qu’elle a ressenti lorsqu’elle s’est retrouvée à parler toute seule dans son salon, devant son ordinateur, face à des pixels » représentant » ses élèves lors de ses cours « en visio ». La voilà avec une » boule sur mon diaphragme », » toute vide, dépossédée de moi, aliénée… ». Marion Honoré a beau se dire qu’il y a pire situation, qu’au loin il y a des guerres, etc., rien n’y fait, ça ne passe pas. Car comment faire cours sans ~ les voix, les agacements, les questions, les bavardages des élèves » ? . Comment faire cours sans la vie ? » « La machine numérique a raison de ma chair. Sans mon corps, sans leur corps, la pensée s’évapore et je suis asséchée. Je n’arrive plus à rien. » Des élèves craquent aussi. Une des plus brillantes est » plongée dans l’effroi à la perspective même d’ouvrir le logiciel Pronote ». Mais qu’importe, le simulacre numérique permet au « ministre chauve » et au proviseur du lycée d’afficher leur satisfaction d’avoir garanti la continuité pédagogique » grâce aux cours en distanciel, maîtrisés par les profs à coups de » tutoriels ». Alors il est à craindre que tôt ou tard, » ça recommence ». Ou plus exactement, que ça continue, en pire. D. B.
« Les cours en visio me donnent envie de mourir », ce n’est pas uniquement une phrase que l’on peut entendre sortir de la bouche d’un étudiant aux ongles rongés, yeux cernés, clope roulée au coin de la bouche sur la pelouse d’un campus universitaire, c’est aussi le titre du livre de Marion Honnoré, paru aux éditions Le monde à l’envers le 7 octobre.
Nous en partageons cette semaine quelques bonnes feuilles.
DEMATERIAIISATION DES OISEAUX (extrait)
Parce que quand même on a bien travaillé, et parce que ça commence à se savoir que les profs de France figurent parmi les plus mal payés d’Europe, le ministre chauve a une idée : il va nous rembourser une partie de la mutuelle hors de prix que, dans l’Éducation nationale, presque tout le monde a. C’est une mutuelle chère et qui rembourse mal, mais qui nous tient vissés par un argument choc : en cas d’arrêt de travail prolongé, nous aurions droit, paraît-il, au maintien de notre salaire pendant un an au lieu des trois mois assurés par la Sécu. Chacun anticipant sa dépression ou son cancer, nous restons à la mutuelle super chère et qui rembourse mal. Dans le souci altruiste d’améliorer sensiblement notre pouvoir d’achat, le ministre a prévu de nous rembourser 15 euros par mois sur la cotisation de la mutuelle super chère. C’est pas grand-chose, c’est toujours ça. Sauf que pour bénéficier des 15 euros, il va falloir faire des démarches. Par voie numérique. Ils ont donc créé une plateforme. Ils lui ont donné un nom d’oiseau. Colibri. C’est mignon colibri, ça fait Pierre Rabhi, le petit vieux gentil qui pense que chacun peut sauver la planète en coupant l’eau de la douche pendant qu’il se savonne, ça sonne bien Colibri, c’est l’engagement #6 du Grenelle de l’Éducation.