Interview de Christine Neau-Leduc, présidente de Paris-I Panthéon-Sorbonne, 21/03/2023
Paris-I : « Nous espérons que les COMP apporteront des marges de manœuvre supplémentaires » (Christine Neau-Leduc)
Avec un surcoût de 2,1 M€ en 2023 lié à l’inflation, le budget de Paris-I est « en tension », souligne sa présidente, Christine Neau-Leduc, espérant que les COMP apporteront des « marges de manœuvre supplémentaires ». Dans une interview, elle revient aussi sur le repyramidage et s’interroge sur l’équité du dispositif : avant de distribuer les supports, « un bilan a-t-il été conduit sur les transformations de postes de professeur en MCF qui auraient pu intervenir sur les dix dernières années dans les établissements ? » Quant à la recherche, elle estime que le futur plan SHS « ne doit pas être un palliatif à la disparition des labex ». Autres sujets évoqués : l’immobilier, le déploiement du projet Excellences « Sorb’Rising », et l’international.
La période actuelle, marquée par une forte inflation, n’épargne pas les établissements d’enseignement supérieur. Quelle est la situation à Paris-I Panthéon-Sorbonne ?
Christine Neau-Leduc : Comme toutes les universités, nous avons commencé à ressentir le choc énergétique dès la fin 2022. Pour 2023, le surcoût budgétaire se monte à 1,5 M€ sur les fluides. Mais si l’on prend en compte plus largement l’impact de l’inflation, le surcoût pourrait atteindre 2,1 M€ pour notre établissement. À cela s’ajoute la non-compensation totale de la hausse du point d’indice : 2,86 M€ en 2022 et une compensation partielle en 2023 se traduisant par un reste à charge de 500 000 €.
Tout cela est loin d’être négligeable par rapport à notre budget, dans un contexte où la majeure partie de notre fonds de roulement est déjà gagée sur des investissements. Nous avons reçu 599 000 € du fonds exceptionnel mis en place par le ministère, ce qui est résiduel comparé aux besoins… Par conséquent, notre budget est en tension et la situation relève d’un équilibre précaire. Nous gérons cette situation de façon responsable, mais nos marges de manœuvre sont nettement obérées.
Fin 2022, les universités ont par ailleurs appris le report d’une partie des crédits du plan de relance pour la création de places. À combien se montent les crédits gelés pour votre université ?
Christine Neau-Leduc : Il s’agit d’un vrai problème, car les places ont effectivement été ouvertes. Pour notre université, les crédits gelés se montent à 1,5 M€. Par conséquent, c’est un élément supplémentaire qui contraint nos marges de manœuvre. Je rappelle que Paris-I est structurellement sous-dotée, à la fois en matière de SCSP, d’enseignants-chercheurs et d’enseignants (environ 850 pour 45 000 étudiants) et de mètres carrés, avec seulement 1,8 m2 par étudiant.
« Les économies d’énergie substantielles viendront de la rénovation thermique des bâtiments. Mais des travaux lourds et un investissement massif seront nécessaires. Ils dépassent très largement les moyens de l’université. »
Le ministère lance les premiers COMP. Espérez-vous que cela puisse constituer un levier permettant de pallier la sous-dotation que vous évoquez ?
Christine Neau-Leduc : Tout à fait, nous espérons que cela nous apportera des marges de manœuvre supplémentaires en nous permettant d’exposer notre stratégie et d’exprimer nos besoins dans un cadre plus large que celui existant précédemment. Nous avons d’ailleurs un dialogue constructif avec le ministère, qui connaît notre situation particulière, notamment sur le plan immobilier.
Dans le même temps, les universités étaient invitées à travailler à un plan de sobriété et le ministère a commencé à diffuser un Plan climat obligeant les opérateurs à baisser de 2 % annuellement leurs gaz à effet de serre. Quels sont les leviers principaux mobilisés par Paris-I dans ce cadre ?
Christine Neau-Leduc : Notre plan de sobriété énergétique a été préparé au cours de l’automne et présenté au CA fin janvier, en insistant sur les éco-gestes, le remplacement des ampoules par des LED, etc. Nous ne découvrons pas le sujet et l’université investit depuis de nombreuses années pour être plus sobre énergétiquement, grâce notamment à des financements CPER dédiés à des opérations de rénovation. Nous sommes peut-être plus épargnés que d’autres par la hausse des prix de l’énergie, car nous sommes pour partie raccordés au chauffage urbain. Et toutes les opérations immobilières qui concernent notre établissement, pour le CPER qui s’ouvre, mais aussi de manière plus générale, visent à répondre à une problématique énergétique : réfection de toitures ou de façades, installation de systèmes d’éclairage intelligents, GTB notamment au centre Pierre Mendès France, etc.
Il est certain que la marche supplémentaire est importante pour Paris-I Panthéon-Sorbonne comme pour d’autres universités, puisque les économies d’énergie substantielles viendront de la rénovation thermique des bâtiments dans un établissement où la majorité des locaux sont classés aux monuments historiques ou dont la construction date d’avant l’édiction des principales normes en la matière. Nous avons, par exemple, candidaté aux appels à projets Résilience 1 et 2. Mais des travaux lourds et un investissement massif seront nécessaires. Ils dépassent très largement les moyens de l’université.
« Je réitère la demande pressante » que Paris-I devienne affectataire du campus de La Chapelle. « Cela permettra des économies d’échelle, une meilleure réactivité dans la prise de décisions quant à la gestion du site. »
Vous mentionnez le sujet immobilier, comment avance la construction du futur campus de La Chapelle ? Votre demande visant à permettre à Paris-I d’être affectataire des locaux a-t-elle rencontré un écho auprès du ministère et de l’EPCC ?
Christine Neau-Leduc : Le chantier a été lancé à la fin 2022 et les travaux ont débuté en janvier dernier : les fondations ont commencé à être creusées, la base de vie du chantier est en place et les grues viennent d’être installées. La livraison est prévue pour le printemps 2025, avec une rentrée en septembre de la même année, et nous espérons qu’il n’y aura pas de nouveau report – notamment du fait d’un chantier voisin (l’Arena dans le cadre des JO), qui pourrait retarder encore l’avancée des travaux. Je rappelle que le campus de La Chapelle fait partie de la phase 1 de Condorcet et devait initialement être livré en 2019 ! Ainsi, ce retard a eu un impact important sur le coût du projet et je salue les services de l’EPCC, les collectivités (Ville de Paris, région, département) et le ministère qui ont permis de mobiliser des financements supplémentaires issus de la dotation du Campus Condorcet, pour faire face au renchérissement des coûts des matières premières notamment.
Quant à la possibilité que Paris-I Panthéon-Sorbonne devienne affectataire des bâtiments, je réitère cette demande pressante. Cela permettra des économies d’échelle, une meilleure réactivité dans la prise de décisions quant à la gestion du site, dans le cadre d’un bâtiment qui sera dévolu aux activités d’enseignements en licence SHS de notre université. Il ne s’agit d’ailleurs en aucun cas d’un repli sur soi de notre établissement. Sur ce sujet, je rappelle aussi que le rapport de la Cour des comptes est favorable à ce scénario et propose des moyens pour y parvenir. Pour l’heure, la discussion n’est pas ouverte, que ce soit avec le ministère ou l’EPCC, mais je souhaite vivement qu’elle le soit très rapidement.
En matière de RH, vous avez reçu deux CPJ en 2022 (« Neurosciences et comportements économiques » et « Société civile, institutions et coopérations européennes »). Où en est le recrutement, et quel bilan tirez-vous quant à l’attractivité de ce dispositif ?
Christine Neau-Leduc : Je tiens à rappeler que le recours à ce dispositif a été longuement débattu avec la communauté et que le CA s’est prononcé en faveur d’un dépôt à l’occasion de la deuxième vague (2022). Nous avons finalement accepté de nous engager dans ce dispositif, avec deux conditions : proposer des chaires pluridisciplinaires et avec une forte dimension internationale, l’objectif étant de procéder à des recrutements différents des circuits classiques, car nous sommes très attachés au rôle du CNU. Ce dispositif ne peut pas se substituer à des recrutements immédiatement pérennes.
Pour ce qui est de la CPJ sur la société civile, le recrutement a été infructueux : nous n’avons pas reçu suffisamment de candidatures de qualité. Nous allons donc relancer la procédure de recrutement au printemps prochain. Il s’agit de dispositifs nouveaux que les collègues doivent encore s’approprier. Quant à la CPJ sur l’économie et les neurosciences que nous avons recrutée, il s’agit d’un collègue chercheur-associé à la London University. Il a été sélectionné le 24 juin 2022, sur sept candidatures déposées. Il a pris ses fonctions le 1er septembre 2022 et a déjà initié ses projets avec des collègues du programme scientifique Sciences du comportement.
« Si une université a transformé des postes, est-il dès lors équitable qu’elle reçoive un nombre important de supports de repyramidage pour rééquilibrer un déséquilibre qu’elle aurait artificiellement créé ? »
Pour ce qui est des autres dispositifs RH de la LPR, quel bilan tirez-vous de la première année de mise en œuvre du Ripec (composante individuelle) et du repyramidage ?
Christine Neau-Leduc : Tout d’abord, je rappelle que, sur le plan RH, l’année 2022 a été extrêmement dense, que ce soit pour les enseignants-chercheurs ou pour les équipes de la DRH qui ont dû mettre en place dans l’urgence les dispositifs issus de la LPR. Tout cela représente un surcoût de travail énorme pour les services RH et les conseils centraux (notamment le conseil académique en formation restreinte), car il a fallu mobiliser des collègues en interne et en externe pour évaluer les demandes, adopter des lignes directrices de gestion (LDG) locales…
Nous avons d’ailleurs fait un retour d’expérience dans les UFR et devant le conseil académique sur les LDG locales et leur mise en œuvre, pour faire remonter d’éventuels points d’amélioration. Je tiens à saluer le fait que tout le monde a fait de son mieux face à ce travail considérable. Néanmoins, il est toujours possible d’améliorer les procédures. Ainsi, il est peut-être nécessaire d’expliciter davantage les critères motivant les décisions afin que les collègues souhaitant candidater au Ripec ou au repyramidage, puissent le faire de façon encore plus éclairée. Pour ce qui est du Ripec, sur 173 candidatures, nous avons octroyé 95 primes dites C3.
Quant au repyramidage, il est important que des perspectives de carrière soient offertes, en plus grand nombre, à nos collègues MCF, même si ce dispositif ne répond que très partiellement aux besoins. À Paris-I, nous avons ainsi reçu trois supports en 2021 et 2022, ce qui est extrêmement peu. Ce dispositif n’est donc pas sans créer de grandes frustrations et beaucoup d’incompréhension de la part des collègues.
Par ailleurs, il me semble qu’une question n’a pas été posée ou explicitée dans le cadre du repyramidage, concernant l’équité entre universités : avant de distribuer ces supports, un bilan a-t-il été conduit sur les transformations de postes de professeur en MCF qui auraient pu intervenir sur les dix dernières années dans les établissements ? Si une université a transformé des postes, est-il dès lors équitable qu’elle reçoive un nombre important de supports de repyramidage pour rééquilibrer un déséquilibre qu’elle aurait artificiellement créé ? La question aurait mérité d’être soulevée car elle est aussi particulièrement éclairante de la situation financière très contrainte dans laquelle se trouvent la plupart des universités, situation se traduisant par des transformations et/ou gels de postes.
Le futur plan SHS « ne doit pas être un palliatif à la disparition des labex ou, de façon plus lointaine, des EUR. Cela pourrait n’être, alors, qu’un jeu à somme nulle dénué d’intérêt stratégique pour les établissements ».
Lors de votre dernière conférence de presse de rentrée, vous souleviez la question du devenir des labex hors initiative d’excellence dont le financement se terminera fin 2024. Qu’en est-il des labex de Paris-I Panthéon-Sorbonne, notamment celui que vous portez avec l’EHESS et pour lequel des discussions avec l’université Paris Cité avaient été engagées ?
Christine Neau-Leduc : J’ai interpellé le ministère dès le mois de mars 2022 sur l’avenir des labex hors initiative d’excellence – 45 sont dans cette situation – dont la disparition est programmée après le 31 décembre 2024. Or, il s’agit de structures très intéressantes, qui ont constitué de très bons outils pour la recherche afin de nourrir la pluridisciplinarité et le travail entre établissements. C’est une formule souple et très souvent efficace.
En ce qui concerne le labex Tepsis porté par l’EHESS, et dans lequel Paris-I Panthéon-Sorbonne est très impliquée, les discussions, à ma connaissance, n’ont pas avancé. De façon plus générale, que ce soit pour les Labex que nous portons ou pour ceux dans lesquels nous sommes présents, la question de la pérennisation des dotations après évaluation est fondamentale tant au regard des moyens financiers en jeu que de la stratégie de recherche de notre établissement.
Et il faut bien reconnaître que les universités hors idex sont, de ce point de vue, placées dans une situation qui pourrait apparaître peu équitable. Tout d’abord, nous ne disposons d’aucune possibilité de consolidation pérenne des dotations issues des labex que nous portons. Ensuite, alors même que nos collègues se sont investis de façon importante dans le fonctionnement et ont contribué à différents niveaux et intensités au succès des labex consolidés dans les idex ou isite, les dotations consolidées seront, en toute logique immédiate, au service des établissements en bénéficiant et de leur stratégie propre.
J’espère, pour ma part, qu’au moins un nouvel appel permette de poursuivre ce type de projets. Il s’agit de dotations importantes, notamment pour les SHS. La ministre nous dit qu’elle réfléchit à cette question, sans décision à ce stade.
Le ministère travaille d’ailleurs à un plan SHS. Quel regard portez-vous sur ce futur dispositif ?
Christine Neau-Leduc : Paris-I Panthéon-Sorbonne se portera candidate lorsque ce plan, en cours d’arbitrage, sera présenté et, bien entendu, si nous pouvons répondre aux conditions et objectifs. À mes yeux, ce plan pourrait être un bel outil de coopération entre établissements et de collaboration des SHS au-delà des « frontières » idex ou non-idex. J’interpelle cependant l’État sur la nécessité d’être cohérent. Le plan SHS doit être une opportunité supplémentaire offerte à des disciplines qui n’en ont pas forcément l’habitude, de se fédérer autour de projets forts et d’ampleur. Il ne doit pas être un palliatif à la disparition des labex ou, de façon plus lointaine, des EUR. Cela pourrait n’être, alors, qu’un jeu à somme nulle, dénué d’intérêt stratégique pour les établissements, à tout le moins pour ceux n’ayant pas le droit de consolider leurs labex et EUR…
Comment se déploie Sorb’Rising, votre projet Excellences lauréat de la première vague de l’AAP ?
Christine Neau-Leduc : Le projet a été lancé – après une première phase de finalisation de la convention avec l’ANR et les premiers recrutements des personnels de soutien – et nous avons d’ailleurs présenté il y a quelques semaines, lors d’une réunion publique en présence des vice-présidents et des équipes dédiées au projet, les actions qui vont être mises en place. L’idée est de rendre les quatre axes de Sorb’Rising plus identifiables.
Sorb’Rising est conçu comme un objet de transformation et d’accélération de notre stratégie. En matière de recherche, des appels à projets internes ont d’ores et déjà été lancés en direction de notre communauté scientifique. En matière de formation, l’objectif est de proposer de nouvelles formations pluridisciplinaires qui sont complémentaires de nos diplômes disciplinaires. Nous avons également développé trois lieux autour de l’art, dont deux galeries. Ce projet s’articule aussi avec notre alliance d’universités européennes, Una Europa.
Un autre appel à projets s’est clos en septembre dernier, ASDESR. Avez-vous présenté un projet et sur quoi porte-t-il ?
Christine Neau-Leduc : Nous avons déposé un projet pour développer deux dimensions et nous sommes impatients de connaître les résultats, qui devraient être annoncés en mars. La première dimension vise à renforcer notre direction des projets et de la prospective, en permettant de recruter du personnel de soutien pour aider les chercheurs et enseignants-chercheurs à répondre aux AAP européens. Nous constatons que cette direction fonctionne bien et qu’il convient d’accompagner cette dynamique vertueuse.
La seconde dimension vise à mobiliser de manière plus structurée et à l’échelle de l’établissement, notre réseau d’alumni, en articulation avec notre fondation. L’objectif est d’accélérer notre projet de plateforme dédiée, pour laquelle nous avons déjà consacré un budget interne. Nous souhaitons impliquer davantage les anciens, qui montrent un fort attachement à leur alma mater, au-delà des sollicitations que nous pouvons leur envoyer dans le cadre de notre fondation. Il s’agira par exemple d’organiser des rencontres, des conférences, ou encore de leur permettre de proposer plus de stages aux étudiants de Paris-I Panthéon-Sorbonne.
Sur le volet international, l’université Paris-I est engagée dans l’université européenne Una Europa. Quels projets nourrissez-vous au sein de cette alliance ?
Christine Neau-Leduc : Quatre ans après sa création, notre alliance accueille 11 établissements et l’objectif est de développer un vrai campus européen durable à l’horizon 2030. C’est le nouveau projet, Una Futura, qui a été retenu dans le nouvel appel de la commission européenne à l’été 2022 et qui succède au précédent projet obtenu en 2019, 1Europe.
De plus, nous avons récemment été sélectionnés pour être co-pilote d’un projet pour développer des critères sur le label « diplôme européen » (Ed-Affiche). En matière de formation, nous avons développé plusieurs bachelors et un PhD, lancés l’an dernier. Différents programmes de recherche ont été également lancés.
Nous souhaitons aussi développer des évènements « festifs » au sein de l’alliance, et pourquoi pas une rencontre sportive inter-universités. Sur les onze partenaires de l’alliance, Paris 1 Panthéon-Sorbonne est l’une des universités dont les étudiants sont les plus impliqués dans la vie de l’alliance, avec notamment 130 étudiants ambassadeurs. Les étudiants sont la clef du succès de l’alliance.