Emmanuel Macron à la Sorbonne : le camp de la déraison n’a rien à faire à l’université !

Emmanuel Macron à la Sorbonne : le camp de la déraison n’a rien à faire à l’université, Libération, mardi 23 avril 2024

Le Président est attendu jeudi 25 avril pour un discours sur l’Europe, dans la lignée de celui prononcé au même endroit en 2017. Sandra Laugier et Johann Chapoutot, enseignants à la Sorbonne, y voient une nouvelle opération de com d’un pouvoir qui passe son temps à piétiner le savoir et l’esprit critique.

Comme il y eut des «discours de Harvard» ou d’Oxford, certains aimeraient inscrire dans l’histoire leur «discours de la Sorbonne». La première tentative ayant été infructueuse (qui s’en souvient ?), les communicants de l’Elysée remettent ça. Pendant toute une journée, le Quartier latin va donc redevenir une forteresse sécuritaire pour que le monarque du moment vienne bavarder dans le grand amphithéâtre d’une université où, CRS obligent, il sera bien difficile de travailler ce jour-là.

Sur un ton affecté et laborieux, on enfilera donc des perles et des antiphrases, on bavassera «bienveillance» et «progressisme», on appellera au sursaut contre l’extrême droite dont, par ailleurs, on a tout repris. Après avoir fait voter la loi immigration, après avoir annoncé la tenue de conseils de discipline à l’école primaire, l’uniforme et le SNU et alors que l’on poursuit sans relâche les militants écologistes, les syndicalistes et les opposants politiques comme Mathilde Panot, on causera universalisme et démocratie devant un parterre d’obligés et derrière quatre cordons de gendarmes mobiles – habituel village Potemkine d’un pouvoir faible, bavard et coupé de toute réalité.

L’autoproclamé «camp de la raison» est un monument d’irrationalité

Cette propagande mensongère n’a rien à faire dans une université. Le «nouveau monde», ce pétainisme managérial, passe son temps à piétiner le savoir et l’esprit critique. L’autoproclamé «camp de la raison» est un monument d’irrationalité : quand 2 000 scientifiques s’adressent à lui pour lui prouver que l’A69 est une absurdité, il envoie ses cerbères gazer et taper les membres du Giec qui interviennent sur place ; quand des économistes lui montrent que le «ruissellement» n’existe pas, il les ignore et poursuit sa politique fiscale insensée ; quand la justice le condamne pour inaction climatique, il persévère dans l’illégalité ; quand psychologues et pédagogues réfutent ses sottises sur l’école, il redouble de bêtise pour complaire à son électorat de droite.

Le camp de la déraison viole tous les principes que professeurs et étudiants cultivent à l’université. Mais, que l’on se rassure, nous avons affaire à un mensonge de plus, à une autre filouterie de pubard : le discours n’est pas tenu à la Sorbonne, mais au rectorat, dont le titulaire, un haut fonctionnaire susceptible d’être démis, doit obéir aux caprices des conseillers com élyséens. C’est une curieuse spécificité : par la présence d’une administration rectorale dans ses murs, héritée de la refondation autoritaire, quasi militaire, de l’enseignement secondaire par Napoléon, la Sorbonne doit subir, de temps à autre, les opérations marketing de l’exécutif alors que ce dernier ne serait jamais convié à lui infliger ses récitations si l’université était maîtresse chez elle. Nos collègues, à l’étranger, s’en étonnent, comme ils s’inquiètent de la dérive sans fin d’une clique en perdition intellectuelle et morale qui, avec opiniâtreté, aura tout fait pour préparer la victoire électorale de l’extrême droite en 2027.

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